Je peux te faire une "analyse" personnelle, vu que je suis du côté pro de l'informatique. Cela ne garantit pas que je ne vais pas me tromper, mais cela sera argumenté à parti d'un retour d'expérience.
L'idée du streaming
L'idée est séduisante: faisons disparaître tout problème de matériel, affranchissons le joueur du suivi logiciel. Tout est traité à l'autre bout, ce qui réduit à presque rien les anomalies potentielles.
Rien que de ce point de vue, cela pourra attirer les gens surtout d'un point de vue technique. Fini le renouvellement matériel (ou presque), fini les soucis du "pas compatible" et j'en passe.
Pourtant, il y a deux problèmes majeurs
Mode offline inexistant: cela veut concrètement dire, pas d'internet pas de jeu!
Prison logicielle: tu résilies, tu ne possèdes plus le jeu.
Et ça, rien que pour l'historique du jeu (comprendre préserver la mémoire du jeu vidéo) c'est mort ou presque. On peut encore jouer à une SNES... Mais là quand ces jeux seront "dépassés, plus rien ne les offrira sur le réseau, sauf à payer une petite fortune pour accéder à de vieux jeux!
Donc
+ Fin de la course à la technologie chez soi (tout est déporté)
+ Suivi logiciel plus rapide (le serveur est patché, plus de téléchargements à rallonge)
- Pas de net, pas de jeu
- Système de location assez contraignant
- Risque de perte de l'historique des jeux à terme
Le réseau? Quel réseau?
Soyons très clairs d'entrée de jeu: c'est une solution pour les riches et les citadins! Pourquoi? Prenez la couverture internet sur le territoire, et observez un peu... sans un débit de qualité et un ping décent, oubliez le streaming de jeux! Dans ces conditions, c'est un "oui mais non" pour le moment
Donc:
+ Si tu es en ville tu vas adorer
- Si tu es à la campagne, tu vas pleurer.
Et qu'on ne me dise pas que ça progresse: je connais des villes où seul le RE ADSL est présent dans plein de quartiers!
Cela sera plus envisageable dans dix ans, et encore je suis optimiste.
A l'usage
Selon les jeux, cela sera forcément une expérience fluctuante. Si le jeu nécessite un ping ultra faible (fps par exemple), la technologie aussi optimisée qu'elle sera se heurtera à des problèmes incompressibles de ping... car tout sera côté serveur que les latences seront à prévoir.
Pire: comment leur réseau va réagir en traitement si le jeu le plus populaire est un AAA ultra exigeant sur les côtés traitements? Imaginez le problème: tous les joueurs se jettent sur le dernier Battlefield 12 qui consomme à mort côté graphique, et autant côté processeur pour des effets complémentaires? Cela pourrait ruiner le ping, le framerate... et même la stabilité générale du bordel.
Donc
+ A tester sur plusieurs types de jeux
+ A valider sur du concret et pas sur des hypothèses
- Des craintes sur le framerate réel
- La gestion du ping
Les catalogues et la localisation
Il y a plein de choses qui m'intriguent. N'oublions pas que chaque pays a ses propres règles sur le droit, la distribution, mais aussi et surtout la censure voire l'interdiction. Cela va donner quoi concrètement? Comment Google va gérer ce cirque? Prenons un exemple très concret: j'achète un jeu en France qui est autorisé. Je pars en congés en Allemagne et là-bas le jeu est censuré. Je n'y ai pas accès? Pourquoi je ne devrais pas? J'en suis un utilisateur légitime il me semble... Quid des VPN? On va la jouer comme avec netflix pour accéder à ses contenus localisés?
Si l'on prend l'histoire du jeu multi, on voit bien le cirque constaté sur le multi plateformes (Xbox One, PS4, PC...) pour un même jeu. Comment cela va se résoudre sur cette solution? J'ai dans l'idée que les autres acteurs vont leur tirer dans les pattes. Prenons Sony: ils ont fait des annonces colossales avec le PS Now... sans compter les annonces précédentes comme gaikai datant de ... 2012. Pour l'heure, cela fonctionne? Techniquement, oui, commercialement j'ai des doutes. Et là encore, Sony a pour avantage d'avoir fermé la technologie à des jeux "partiellement" transmis parce que la console permet de compenser une bonne partie des traitements. Résultat des courses, ça décolle à peine.
J'ai peur que Google aille un poil vite en besogne, même si sa puissance économique et surtout son infrastructure tentaculaire lui permettent de l'envisager plus sereinement que n'importe quel concurrent sur ce marché.
A voir en pratique, et surtout à voir le taux d'adhésion des développeurs. En effet, c'est eux qui seront le nerf de la guerre. Sans catalogue, Google ne pourra pas progresser, et sans marché les développeurs n'iront pas dedans.
C'est l'oeuf et la poule, comme pour le casque de VR: "on ne va pas vers la VR parce qu'il n'y a pas de parc machine" du point de vue des développeurs , "et on ne va acheter de machine parce qu'il n'y a pas de développements intéressants" du côté des joueurs.
Les solutions de streaming machine intermédiaires (comprendre avoir un "PC" virtualisé) peuvent représenter une bonne transition, car elles offrent la puissance matérielle, mais également des usages complémentaires à que du jeu vidéo. En suggérant "abonnez vous à notre service, vous aurez un PC puissant, et de suites logicielles déjà disponibles comme notre store mais aussi un abonnement déjà inclus à MS 360...". La puissance de Google côté serveurs, alliée à la solution "clé en main", cela me sera bien plus attirant que "jouez où vous voulez" avec finalement plein de contraintes.
L'industrie
C'est le piège absolu pour les éditeurs, tout en étant aussi une aubaine potentielle. Concrètement, comment seront rémunérés les éditeurs? Au nombre d'abonnements? A la durée de jeu? Dans tous les cas, il y aura des obligations de support (mises à jour, corrections...) tout en ayant potentiellement un retour financier moindre qu'un achat direct. Cela va énormément intéresser les gros (EA par exemple) qui, eux, auront une rente viagère sans avoir à craindre une mévente d'un jeu AAA. A l'autre bout, on aura potentiellement le syndrome "STEAM", à savoir une visibilité désastreuse pour les petits, et donc possiblement zéro joueur ou presque.... donc revenus réduits à néant. L'indépendant, quand il vend quelques pièces (même dans les humble bundles!) arrive à avoir un peu de retour sur son boulot. Avec un système par abonnement, il sera dans le fond du trou, sauf à avoir le coup de bol d'être mis en avant par le net, et donc d'avoir plus de joueurs. Pour autant, ces revenus seront canalisés et donc "encore un fil à la patte" à la STEAM
Donc
+ Rente pour les gros éditeurs
+ Suivi des patchs simplifié
+ déchargement des serveurs pour la distribution des patchs
- Visibilité restreinte pour les petits
- Retours financiers réduits à peau de chagrin sur les petits volumes
- Prison virtuelle pour les petits studios qui n'auront aucun moyen de distribuer "autrement"
Le retour économique pour Google
C'est LE danger: monter des environnements de ce genre requièrent une infrastructure colossale, et un renouvellement permanent du matériel. En effet, si les serveurs ne suivent pas l'industrie (côté GPU notamment), cela n'incitera pas les éditeurs à aller vers du AAA "next-gen". Pourquoi se décarcasser à vouloir faire le jeu le plus clinquant, si le matériel n'est pas capable de suivre? Prenons un cas concret: admettons que Google ait mis cela en ligne sur des 1080Ti... et que là les jeux sortent de plus en plus avec le support du raytracing. Que faire? Renouveler tous les serveurs? Le faire de manière progressive? Aucun client n'acceptera que son expérience de jeu soit restreinte par rapport à son voisin sous prétexte que les places sur les RTX sont toutes prises!
Ils peuvent l'envisager en mode glissant, ceci en orientant sciemment les utilisateurs en fonction des jeux qu'ils vont utiliser à l'instant T... mais les AAA sont ce qu'ils sont, cela ne pourra forcément que s'engorger! Quand un Battlefield V sort, ce sont des millions d'unités qui sont vendues, et donc des millions de joueurs vont se ruer sur la dernière nouveauté. C'est encore plus flagrant si le tout est "immédiatement" disponible sur le service.
Donc
- Comment Google va parvenir à avoir un retour sur investissement vu les problèmes évoqués?
Mes conclusions
La dématérialisation est viable. On la pratique quotidiennement vu qu'on achète de moins en moins de supports. Cependant, les machines physiques ne sont pas mortes, et ne mourront pas tant que le réseau ne permettra pas à tous de profiter de la même expérience. Je pense que le tout sera une expérimentation intéressante, mais pas encore une solution viable pour tout le monde.
De là, il y a tout un tas de critères qu'on passe sous silence et qui vont jouer des tours à Google. La société a beau avoir du fric à la pelle, j'ai dans l'idée que leur solution va être comme "des consoles like", à savoir un critère maximal de puissance pour chaque instance de jeu, et de "contenir" l'évolution technologique sur une période permettant de ne pas avoir à changer constamment de support.
Donc
+ C'est viable et sûrement fonctionnel
+ Cela simplifie énormément la vie aux joueurs
+ Cela rendra le jeu "portable" partout, sans problème matériel à prendre en compte chez soi
- Ce sera viable dans dix ans quand tout le monde aura un internet suffisant pour en profiter
- C'est un fil à la patte dangereux