On peut difficilement dire que Céline a été victime d'une censure de l'état français, même si ce dernier a refusé de commémorer le cinquantenaire de sa mort. Il y a eu plutôt des refus de rééditions de la part de Céline lui-même ou de ses éditeurs. Autrement à ma connaissance en France aujourd'hui on ne censure que les appels au meurtre, au suicide, à la haine raciale. Ce qui confirme ta remarque sur la connaissance que l'état a des capacités de jugement des citoyens qu'il a formé...
Encore que. Le raisonnement sur la censure est une problématique tant actuelle qu'historique. Si l'on prend un peu de recul et qu'on analyse la ligne de conduite des censeurs, il faut bien se souvenir des points suivants:
- La censure d'état qui a été autrement plus dure par le passé en France
- La censure populaire qui pousse les éditeurs de ne pas publier certains ouvrages
- La censure religieuse qui poussait alors l'état à agir dans son sens
- L'auto-censure par crainte de la prise de risque.
De là... on peut citer des éléments de réflexion sur notre société.
- La "cancel culture" qui pousse les gens à se censurer pour éviter la vindicte
- Le poids colossal du "on" nébuleux du net qui donne qu'on prétend tout dire, alors qu'au contraire ne pas aller dans le sens du "on" classe automatiquement les opposants dans une catégorie caricaturale
- La problématique de déterminer si la censure est un élément objectif sur les éléments actuels (ce que tu cites avec justesse), ou bien une "justice" intemporelle autorisant la relecture des oeuvres antérieures.
Pour ce dernier point je suis très à cheval sur un raisonnement: on ne peut pas relire le passé à l'aune de notre filtre idéologique sans prendre des risques majeurs pour la culture. Pire: si l'on juge une oeuvre, le fait-on (ce qu'est la censure) que sur l'oeuvre, ou bien prend-on en compte l'auteur?
Céline est un bon exemple du problème, mais il y a plus récent et absurde... et je peux en citer deux exemples dramatiques:
- L'auto-censure des Simpson sous prétexte que le vendeur hindou est "cliché raciste" (alors que précisément c'est tout l'esprit où Homer est un pourri avec un immigré, et qu e l'immigré lui rend la pareille en lui faisant payer chèrement des produits périmés)
- La "non-affaire" Mickael Jackson où, sous prétexte d'un documentaire torchon sur sa vie et ses prétendues frasques pédophiles, on en vient à censurer sa musique et le faire disparaître dans tous les médias où il a été représenté (les Simpson par exemple, mais trouvez-moi une émission qui cite le "king of pop" aujourd'hui!)
Pour moi l'oeuvre et l'auteur doivent être dissociées. C'est vital! Si l'on commence à appliquer nos filtres, alors:
- Brûlons et effaçons les oeuvres de De Vinci puisqu'il y a de forts soupçons de pédophilie le concernant.
- Eradiquons les oeuvres romaines et grecques puisqu'elles sont issues d'une culture qui n'avait aucun problème avec les sexualités que nous considérons aujourd'hui comme déviantes.
- Incinérons les exemplaires des encyclopédies qui usaient du terme "nègre" sans le moindre scrupule.
Ce qui est le plus terrible en fait, c'est que les auteurs comme Céline, si scandaleux qu'il fut, se doit d'être au moins cité voire enseigné. Il en va de même pour bien des livres qui ont une valeur soit par la qualité littéraire, soit par l'importance historique. J'entends déjà certains me parler du "mein kampf" qu'il faut enterre! Grotesque! Inepte! Alors interdisons aussi ceux de Marx car on leur doit de grands génocides et des dictatures sur plusieurs décennies! Bannissons aussi tous les ouvrages anarchistes, communistes,.. bref supprimons les idéologies qui ne cadrent pas avec la bienséance! Un livre est un manifeste, en bien ou en mal. Il est essentiel que ces livres soient accompagnés de notices explicatives, voire de faire des éditions commentées pour rappeler le contexte. Mais de là à passer par l'autodafé...
Et puis pour moi la censure qui tente de bloquer les idéologies dangereuses, elle ne fait qu'une chose au fond: rassurer ceux qui les soutiennent qu'ils sont persécutés, ceux qui s'y opposent qu'ils ont trouvé le moyen de les faire taire, et pour ceux qui sont curieux de les rendre plus fascinants que nécessaire.