Les oubliés de l'histoire sont la partie immergée de l'iceberg. L'histoire ne retient que ce qui était le plus visible, le plus documenté, la reconstitution est pleine de failles. Si la paléontologie reconnait aisément son caractère spéculatif (on analyse le passé avec nos connaissances, nos références et outils actuels, ce qui biaise la réalité d'un autre temps), l'histoire le reconnait moins.
Je ne suis pas féru d'histoire, mais chaque fois que je fais des recherches sur un sujet, je me rends compte que pour une personnalité historique mise en avant, quand on creuse, d'autres ont œuvrées dans l'ombre (qu'on ne connait pas toujours) et parfois de manière encore plus significative.
Par exemple, tout le monde connait Einstein, mais beaucoup moins connaissent les autres brillants physiciens et mathématiciens qui l'ont fortement aidé dans sa tâche. De façon générale, il me semble difficile (sinon impossible parfois) de déterminer quel personnage de l'histoire retenir, qui est vraiment l'acteur majeur ou inventeur de quelque chose, il y a souvent débat sur ce sujet. On attribue telles actions ou inventions à telle personnalité historique par simplification, mais nombre de ces personnalités n'ont fait que prendre des décisions ou présenter les travaux d'autres personnes qui sont peu ou pas reconnues.
Lorsqu'on parle de l'invention du cinématographe (du cinéma donc), qui est pourtant très récente historiquement parlant, il est bien difficile de savoir a qui l'attribuer (sans doute plusieurs illustres inconnus en même temps dans le monde, comme pour la plupart des inventions), mais l'histoire nous enseigne souvent que ce sont les frères Lumière, ce qui est assurément faux car le procédé a été inventé et breveté bien avant eux (ce qui ne nous dit pas pour autant qui l'a inventé en premier, si tant est qu'il y ait eu un premier). Je me dis qu'il y a une dimension politique, stratégique dans ce que retient l'histoire, à travers des personnages qui ont plus fait parler d'eux que les véritables acteurs ou inventeurs.
L'histoire du moyen âge est un des exemples qui m'a le plus frappé. Je ne suis pas du tout spécialiste mais à la lecture de certains ouvrages d'historiens, on a une image totalement biaisée de cette longue période, largement entretenue par le cinéma d'ailleurs. Comme les documents qui nous sont parvenus sont l'œuvre de personnes qui n'étaient pas du tout neutres, on peut douter de leur bonne foi concernant les faits relatés. S'ensuivent alors d'interminables débats entre historiens et se dégage un consensus jugé raisonnable par une majorité, mais est-ce vraiment la réalité des faits ou simplement ce qui parait le plus plausible à leurs yeux ? Personne n'était là, les informations sont parcellaires et pas toujours fiables, c'est un sacré défi de reconstituer le puzzle.
A notre ère ou la rétention d'informations est à son apogée, c'est sans doute différent. Bernard Tapie n'est peut-être pas un personnage majeur de notre histoire en effet, mais il a œuvré dans différents domaines, a fait l'objet d'une grande médiatisation, c'était un homme d'affaire à la verve peu commune, il restera forcément des traces de son passage. Mais comment la profusion d'informations que nous stockons aidera-t-elle les historiens du futur ? Les influenceurs seront-ils cités dans les livres d'histoire dans 500 ans ?
Enfin, ça, c'est si on croit que nous sommes là encore pour longtemps, ce qui n'est pas du tout mon cas, mais c'est un tout autre sujet.
Après tout, l'histoire, c'est une façon pour l'homme de transcender son existence éphémère, de se souvenir qu'il existe depuis plus longtemps qu'il ne vit individuellement, de s'inventer une conscience collective. Non ?