Je pense que
@svoglimacci de par son métier ne pourra que vous confirmer ce que je vais expliciter ici (l'expérience de plusieurs années d'informatique professionnelle).
Petite mise en contexte: j'ai plus de 20 ans de métier dans le développement et le déploiement de solutions logicielles... et bien 10 de plus si l'on compte tout ce que j'ai fait à titre personnel auparavant. De fait, j'ai pu assister "de l'autre côté du miroir" à l'émergence des réseaux, la mise en place des solutions, et leur évolution au fil du temps. Et croyez-le sur parole, personne n'est réellement prêt à prendre la mesure des risques qui nous attendent et ce à très brève échéance.
Si l'on prend la partie historique, jusqu'à il y a une petite décennie les systèmes étaient pour ainsi dire excentrés, c'est-à-dire qu'ils avaient chacun un "coeur" logiciel indépendant, n'échangeant que ponctuellement de l'information afin de se nourrir les uns les autres. Concrètement, un système A et un système B ne daignaient pas échanger plus que le nécessaire, ceci pour des questions non d'éthique mais purement de besoin. Par exemple, Carrefour ne fournissaient rien à des sociétés tierces sorties de statistiques que ces sociétés achetaient pour améliorer le marketing par exemple. Dans ces conditions, l'anonymat n'était qu'une conséquence et non un fonctionnement désirée par les concepteurs. C'est simple: on ne pouvait pas tout tracer, car rien ou presque ne permettait de procéder à des recoupements concrets. C'est ainsi qu'on restait présent sur plein de petites entités indépendantes, et non sur une sorte de toile réellement maillée.
Les gens se fourvoient en croyant que le réseau tel qu'ils se le représentent est la vraie finalité du net. Ils pensent "services indépendants=traces différentes=sécurité". Rien n'est plus faux aujourd'hui. La tendance n'est plus à l'expansion de réseaux dédiés car Facebook, Google et Amazon ont atteints ces objectifs. Ce qu'ils font à présent c'est étoffer la puissance disponible et la quantité de stockages, mais l'infrastructure est là, pérenne, robuste (voire même indestructible si l'on y songe d'un point de vue purement technique). Ce que les Google et Facebook ont initiés, c'est de recentrer le réseau sur leurs structures, comme pour se positionner au sein même de vos échanges. Si l'on est concret, le suivi réalisé sur les utilisateurs est essentiellement hérité des régies de publicité des deux géants, et une immense majorité des services "à la mode" sont tributaires de l'authentification par l'un ou l'autre de ces opérateurs.
Cela signifie quoi? Qu'en s'imposant en tant que certificateur d'identité, Facebook et Google se sont substitués aux administrations, et l'identité numérique est devenue un produit susceptible d'être négocié, vendu, analysé, voire même... modifié à loisir sans contrôle des vrais détenteurs théoriques. Les réseaux sont désormais orientés vers l'échange à outrance, à savoir rendre la donnée accessible à tous les services capables d'y mettre le prix, ceci en totale défiance des lois sur la vie privée. Le fonctionnement est limite juridiquement; vous êtes "anonyme" dans les statistiques... mais vos données sont toutes transmises à des sociétés tierces sans votre accord, à part un accord tacite auquel personne ne prête attention!
L'avenir est délicat voire même dangereux. La concentration d'informations, l'expansion des données accessibles directement ou indirectement par ces pieuvres que sont Facebook et Google m'incitent à voir à terme une sorte de "méta réseau" où nos informations sont toutes fédérées jusqu'à créer des identités uniques, contenant à peu près tout ce qui est possible de savoir concernant chaque utilisateur. D'ailleurs, c'est assez simple d'avoir des dossiers très solides.
Petit cas simples: on va mettre en commun les données de quatre sociétés, et vous allez voir à quel point vous avez accès "à tout"
- Google, Facebook, la banque de la personne, et son opérateur d'internet/téléphonique
Pourquoi?
- Google pour les recherches
- Facebook pour reconstituer les "amis" et entourages
- La banque pour les activités financières
- Les opérateurs pour les appels et les échanges numériques.
En partant de la banque, vous pouvez remonter aux transactions d'achats... donc au panier magasin, aux produits vendus (en historique client), les cartes fidélités et analyser le cas échéant les marchandises acquises en regard des recherche Google.
Et là ce n'est que des bases simples, en poussant plus loin une analyse "psy", on peut identifier "tiens il est sans enfant MAIS cherche sur des couches... copine enceinte?" ou encore "Curieux qu'il aille chercher des tutos sur les lois de détention d'armes à feu. Qu'envisage-t-il clairement?" etc etc
Les fantasmes à la skynet sont obsolètes. Skynet a pris "conscience" et déclaré l'homme comme une menace. Ce "skynet" moderne sera à n'en pas douter une entité gigantesque dont la complexité et les paramètres sont déjà incompréhensibles pour le commun des mortels. Pire encore, ce méta réseau laissera l'homme vivre comme il l'entend, tout en prenant la main sur la pub, les infos, et rendra prioritaire ce qui nous incite à consommer de manière personnelle, et/ou nous pousse à avoir peur vis-à-vis de la société telle qu'elle est. Le climat anxiogène, les problématiques de fake news, les manipulations d'informations, la paranoïa des théories du complot ne sont que des résurgences de ce qu'un créateur de BD japonaise a imaginé: le "stand alone complex". L'idée: que des copieurs/imitateurs se mettent à revendiquer des actes et des opinions au nom ... de "messies" qui n'existent pas concrètement. Imaginez un réseau qui parle d'un terrorisme latent, d'hypothèses de complots où les états sont complices, alors que ce qui est cité dans ces informations sont bidonnées. Il y aura des adhérents à ces thèses, des copieurs passant à l'action, le tout au nom... d'une fiction totale.
Le fait de généraliser l'usage du cloud, de mettre à disposition autant de données rend de plus en plus prisonnières les entreprises qui se servent quotidiennement de ces outils. Economiquement, stratégiquement, tout est amené à les maintenir dans une dépendance technique et financière telle qu'un simple mouvement de Google peut mettre en faillite une entreprise. Pire que tout, Amazon est désormais le socle technologique pour énormément de firmes, et pas des moindres: Netflix, énormément de services internet comme Dropbox et autres dépendent totalement de ces machines... alors imaginez le pouvoir que détient une firme comme Amazon si elle échange voire met à disposition des données sensibles.
Pour conclure mon charabia, sachant que l'anonymat n'a aucun sens sur la toile, nombre de petites structures en devenir vont concevoir de plus en plus d'outils d'échanges de données "de manière sécurisée et si possible anonyme", le tout payant, et qu'elles auront du succès pour contrer les géants du marché... jusqu'au moment où elles seront elles-mêmes des monstres économiques, que leur coeur de métier sera l'information, information qu'elles finiront tôt ou tard par monnayer avec les plus offrants.
Nous sommes des marchandises pensantes, et par malheur notre capacité à penser est oubliée au profit du confort d'un discours confortable qui est "dormez braves gens, nous gérons ça à votre place".