La manichéisme, il est plutôt ici : "Alors je suis d'autant plus étonné de votre vision du travail, réduite à un "gagne-pain, parce-qu'il le faut bien"."
Il me semble qu'aucun des intervenants ne se limite à cette vision des choses, ni à la vision bobo du travail qui nous est proposée.
La réalité est bien sûr plus complexe, entre ceux qui n'ont d'autre choix qu'une variante moderne de l'esclavagisme et ceux qui vivent leurs rêves de moutons dans le Larzac, il y a un large éventail, sans doute bien représenté ici.
Quant aux exemples de changement de mode de vie réussis présentés, combien davantage d'échecs ? J'ai connu trois personnes dans mon entourage, cadres de haut vol, qui l'ont tenté. Bilan, trois plantages : une ruine complète mais retour au travail antérieur, une descente aux enfers jusqu'au RSA, et un suicide. Mais ces trois personnes ont vécu (brièvement) leur rêve...
Je ne fais et ne ferai jamais la leçon à quiconque sur la relation au travail. J'ai côtoyé des gens qui étaient parce qu'ils fallait faire chauffer la marmite et qui en bavaient, d'autres qui se foutaient de tout du moment qu'ils prenaient la paye, et d'autres enfin qui s'éclataient dans leur boulot. Chacun son approche et je ne critique aucune de ces manières de vivre le travail.
Là où j'ai les dents qui grincent, c'est quand on tente de me convaincre que le travail est une chose qui épanouit. Cela peut épanouir, mais ça n'est certainement pas une règle mais plutôt une exception. Il suffit de jeter un oeil hors de chez soi pour saisir ce que j'entends par là... et ça n'est pas limité par qualification ou la rémunération loin s'en faut. Il y a autant de gens qui détestent ce qu'ils font en bas qu'en haut de l'échelle, car cela tient aux conditions de travail, à l'ambiance professionnelle, ou encore la mort des rêves face aux réalités. Je ne compte plus le nombre de développeurs (pour centrer sur mon métier actuel) qui sont tombés de haut en voyant l'écart entre "je m'éclate à pisser du code" et le "hé merde faut faire des trucs inintéressants parce que cela fait partie du job".
Comme tu le dis à très juste titre, les rêves peuvent être beaux, épanouir... ou te mettre à bas faute de lucidité. C'est infernal de faire des choix entre ce qu'on désire et ce qu'on doit abandonner. Et ça n'est pas qu'une question d'argent, c'est aussi de discernement. Tu prends l'exemple de cadres supérieurs... C'est une population qui a potentiellement le plus de chance de se ramasser très violemment. Pourquoi? Le train de vie. C'est cynique et terrible à dire, mais quand tu pars "de bas" tu ne peux pas te ramasser si violemment que tu ne saurais rebondir. Quand tu es monté "trop haut", te passer de bien des aspects confortables (et donc financiers) devient une vraie contrainte. Mon père aime à dire quand il s'agit d'argent "pour les gens comme moi ça a été dur à gagner et encore plus dur à dépenser parce qu'on n'en avait pas. Pour les gens riches, le dépenser devient trop facile et le jour où ça manque c'est la merde totale".
Et puis enfin.. quand on est dans un pays riche et qu'on a une certaine réussite économique/sociale, on adopte involontairement une forme d'arrogance qui mène à fantasmer le travail.. là où l'immense majorité du monde s'y accroche pour ne pas crever de faim. C'est d'ailleurs la toxicité des USA avec leur culture frôlant la vénération de la réussite. Ils exhibent la réussite, la fourre dans tous les médias possibles (quitte à être vulgaires) en poussant sous le tapis le naufrage social que cela représente pour une bonne part de leur population. La France, elle, se heurte de front au problème en ne sachant pas quel biais social et médiatique choisir. Certains vendent la réussite pour tous (utopie), d'autres une nation réellement égalitaire (tout aussi utopique), le tout en vomissant la réussite qui se fait (soi-disant) toujours sur le dos des humbles. Comment concilier l'inconciliable?