Je crois, de ce que j'en lis, que tu rates un épisode assez fondamental, qui est que ce n'est pas le fait de vouloir regrouper des cultures/religions différentes qui pose problème, c'est beaucoup plus basique à mon sens...
Le problème? Le fond du problème? La nécessité pour un esprit relativement évolué comme celui de l'Homme d'avoir une identité! C'est fondamental: nous avons besoin de nous reconnaître et de nous identifier par une identité, et celle-ci se bâtit sur bien des éléments plus moins pesants, à tel point que, selon l'éducation (au sens large), la pondération de chaque élément varie énormément.
Prenons un cas caricatural pour avoir les éléments: le "blanc" que décrit Coluche
- Physique "européen" voire "nordique" avec ses cheveux blonds aux yeux bleus
- Lieu de résidence un pays riche
- Situation sociale confortable, travail stable, famille "cohérente" selon son éducation chrétienne et européenne
- Religion sans pratique ni compétence, mais baptême et première communion "pour faire plaisir à la famille"
- Jamais eu de conflit avec des "étrangers"
Ce profil ordinaire fait que, sur le papier, il va tolérer et accepter même les différences, une éducation raisonnable et raisonnée lui donneront en principe une capacité à voir chez l'autre non un adversaire mais simplement un autre être humain à respecter.
Or non: monsieur vote raciste, se revendique comme tel, et éduque ses gosses en ce sens. Pourquoi? La religion? Non. Alors quoi? La peur! La peur xénophobe que "son" identité soit mise en doute par la culture, par la peur du "bouh des envahisseurs", par les médias anxiogènes qui l'incitent à voir chez tous les gens "différents" de vraies menaces au point de pousser à la paranoïa!
Ce fonctionnement n'a aucun lien direct avec les religions ou même une culture plus qu'une autre. Les identités individuelles se bâtissent tant sur la culture et l'éducation, que sur des convictions qui se forgent hors de tout contexte. Nul besoin d'inciter quiconque à devenir raciste, mécaniquement il y en aura toujours une proportion plus ou moins importante. Pire encore, il est notable que si une culture et une façon de vivre se croit menacée (ou l'est réellement... tout dépend du contexte local), il y aura forcément une réaction disproportionnée. Prenons un cas fondamental: les japonais sont xénophobes par leur insularité et le culte de la supériorité sociale/morale/culturelle, mais maintiennent une forme de "politesse" avec les étrangers pour ne pas s'abaisser à être visiblement racistes. Ce serait humiliant pour le pays de mal accueillir les "non japonais"... Alors que leur langue contient (comme le yiddish par ailleurs) un mot péjoratif pour étranger "gaijin" (goy en yiddish). Il est récurrent chez eux de voir des réactions allant très loin dans la colère raciste et nostalgique, comme celle de Mishima qui en est arrivé à théâtraliser son suicide rituel!
La religion, la culture, la "morale", ce ne sont que des outils quand ils sont tenus par des personnes qui désirent en faire des instruments politiques. Prenons n'importe quelle religion: toutes prônent une unité morale et spirituelle sur le fond, là où la forme est dévoyé par des prédicateurs qui cherchent des façons de légitimer un pouvoir, une influence, de sorte à faire valider des thèses haineuses à travers la foi individuelle. La notion identitaire est la chose la plus efficace à manipuler, car elle donne à chacun l'opportunité de s'identifier dans le monde... et ça n'est en rien l'apanage de l'islam! Les américains sont nationalistes et le culte du drapeau, de l'armée, de "l'american way of life" s'adossent majoritairement sur le mode de vie qui mêle allègrement réussite sociale/économique, bienséance morale et un soupçon de religion (on jure encore sur la bible à l'investiture du président par exemple). La religion, bien qu'externe à la politique, reste alors un socle identitaire fort pour fédérer un peuple hétéroclite issu des différentes vagues migratoires.
Simplifier par le "vivre ensemble est utopique" est dangereux. On peut vivre ensemble, c'est tout à fait faisable, et des nations hétérogènes ont réussi ce pari sans incident notable. L'exemple fondamental est la pérennité de Rome par exemple: union de peuples et nations différentes, aux cultures très hétéroclites, mais réussissant à fonctionner de concert sur des préceptes élémentaires adossés à une éthique: allons dans le même sens pour rendre l'empire fort, les différences vous appartiennent, mais vous êtes tous sous la même tutelle politique. Cela prouve que cela fonctionne... si le cadre est mis en place pour le permettre.
Ce qui est dysfonctionnel dans le monde, c'est que chacun pense que son identité est supérieure à celle du voisin, ou tout du moins que chacun suggère que son identité n'a pas à évoluer par contamination de celles des autres. L'égocentrisme et l'ethnocentrisme sont deux maux courants dans les sociétés de notre temps. Pourquoi? Parce que la mondialisation nous confronte à des écarts de valeurs tels que cela met en doute notre propre capacité à tolérer toute autre forme de pensée. Dès lors: en rejetant l'identité d'autrui, celui qui migre se voit mis au ban, rejeté, ou carrément ciblé comme étant la source de tous les maux. Que faire? Le repli, protection de sa propre identité en rejetant l'assimilation, ceci menant à l'intégrisme religieux, l'exhibition de sa culture par le vestimentaire (tenues "africaines", habits à connotation religieuse et j'en passe...), voire même le refus à apprendre la langue. C'est d'ailleurs assez flagrant à travers les plus âgés des premières migrations en France... prenez les portugais, une bonne part des plus anciens ont un mal fou à parler en français, sont très adossés à la communauté, et ont globalement une énorme problématique à s'affranchir de leur langue natale. Pour eux, perdre le portugais et l'accent si caractéristique serait perdre l'identité qui fait d'eux non des français mais des "portugais de France".
Et ce ne sont pas les seuls: je l'ai vu avec les slaves, les algériens... Quand on vous qualifie d'étranger, que vous êtes constamment mis à part et même insulté pour cela, le réflexe identitaire est immédiat, voire fondateur. Vous n'êtes plus une composante mais une verrue sur la société, et vous en devenez nécessairement plus enclin à repousser toute tentative de discussion.
Que faire? Ce serait si simple si une solution universelle fonctionnait... Mais la première chose élémentaire est, je le répète, que l'éducation s'appuie bien plus sur les préceptes de laïcité incitant donc à ne plus juger l'autre à l'aune de sa foi ou sa couleur de peau, que sur les bases du "nous sommes tous des descendants de Vercingetorix". Cela paraît débile dit ainsi, mais relevez tout de même qu'on continue, à tort, à parler de l'histoire de France comme étant celle de tous les gosses. C'est absurde: les enfants de France d'aujourd'hui ont des héritages multiples, des métissages complexes, et omettre dans l'équation que chacun de nous n'est pas qu'un descendant direct d'un gaulois fait partie des problèmes. Il y a au surplus une omission dramatique dans le cursus scolaire qui est d'assumer l'histoire. La décolonisation? Trois lignes à peine abordées voire même oubliées pour ne pas faire polémique. L'histoire de la situation de la femme en France? Terrain miné soi-disant! Si l'on n'explique pas l'histoire, si l'on se refuse à expliquer le fonctionnement des institutions françaises, afin que chaque enfant puisse en saisir les fonctions et l'utilité, difficile de leur demander d'être tolérants et dans une démarche de progrès.
Enfin, n'oublions pas, tous autant que nous sommes, que nous sommes les tenants de l'information. En n'ayant pas une attitude déterministe en transmettant le progrès dans nos discours, nos choix culturels, nous ne pouvons décemment pas exiger des autres qu'ils soient "plus tolérants et respectueux", puisque nous-mêmes nous ne le sommes pas assez. Soyons honnêtes: G.Servat a, dans une de ses chansons, établi une phrase résumant parfaitement le propos
Enfin arrive le temps du concret! Enfin, on cesse de faire entrer de force la réalité dans le moule des idées! Enfin arrive le temps du respect! Difficulté suprême.. Laisser libres les pensées différentes Que chacun regarde en soi. La bête est là, tapie, sournoise, prête à tout dévorer. L'hydre du fascisme est en chacun de nous. Chaque soir je la décapite. Chaque nuit ses tètes repoussent dons ma tète. Parfois, elle me soumet. Parfois, je suis vainqueur En moi : l'intolérance, moisissure fadasse je ne vaincrai jamais définitivement Mais, sans relâche, je décapiterai le monstre. Jamais je ne prendrai la Kalachnikov pour imposer mes idées, ma loi ou ma croyance. J'ai trop peur d'avoir tort!