Le conseil constitutionnel ne donne pas son avis politique, il se prononce sur le respect du droit constitutionnel du texte. Mais comme toute institution, c'est évidemment une mascarade, la neutralité est un concept qui n'existe pas dans la pratique. Essayez d'être neutres sur des sujets pour lesquels vous avez des convictions ou des avis tranchés...
Nous le savons tous, quand on connait quelqu'un de bien placé quelque part, on bénéficie de passes droits, ou de "piston" comme on dit. Cela existe à tous les étages de la société, même et surtout en ce qui concerne la loi (il est très utile d'avoir un bon ami avocat, pour enfreindre, pardon contourner, la loi si besoin). Alors il ne faut pas être trop naïf en pensant que les idiots qui dirigent le pays (oui, ce sont des idiots, cultivés mais idiots et horriblement formatés par les écoles qui les lobotomisent), n'usent pas de privilèges de ce type quand c'est possible. A un niveau modeste, le copain de ma fille, qui a 21 ans, est ami avec un contrôleur dans un centre de contrôle technique. Il lui valide son contrôle technique alors que (son épave) sa voiture ne devrait pas l'avoir (vous la verriez vous comprendriez, et entre autres, il a retiré le FAP). Vous imaginez, c'est juste un jeune lambda sans le sou, et il peut passer outre la loi, alors des hommes de pouvoir...
Je suis de loin cette affaire des retraites, et elle m'attriste : pour ma sensibilité, elle reflète le fait que probablement la grande majorité des actifs n'aiment pas ce qu'ils font. J'ai entendu des témoignages de gens contre cette réforme à la radio, et la manière dont ils parlent de leur travail est effrayante, ça ramène à l'horrible concept de "gagner sa vie", c'est à dire travailler pour avoir le droit de (sur)vivre.
Je trouve ça horrible (et de façon éthique, ça l'est, c'est de l'asservissement) car je n'ai jamais vraiment été concerné. Je ne vais pas m'étendre, mais juste préciser que que je fais partie ce ceux qui n'ont aucune envie d'arrêter de travailler. Mon travail étant ma passion depuis enfant, je l'aime, je m'y épanouis grandement, j'y ai ma famille de coeur. De l'extérieur, je suis un privilégié. Mais ce n'est pas ma façon de le vivre. J'ai oeuvré, depuis très jeune, pour ne pas avoir la même vie d'asservissement que mes parents. J'étais tellement triste de voir leur vie routinière de travail, avec des loisirs possibles seulement selon un rythme bien précis du calendrier, que ça m'angoissait. Il n'était pas question que je travaille de cette façon, pour "gagner ma vie".
Je suis donc triste pour les gens qui s'insurgent contre cette réforme. Mais j'ai aussi envie de leur dire, qu'au moins pour une partie d'entre eux, ils avaient le choix de prendre d'autres chemins. Je connais, et vous connaissez probablement, des gens passionnés et très doués dans un domaine qui n'est pas leur métier. J'ai l'un de mes meilleurs amis, qui est un guitariste incroyable, extrêmement musical. Ce n'est pas le plus grand technicien, ce n'est pas Guthrie Govan, mais il connait parfaitement l'harmonie et sait s'adapter et improviser avec créativité, goût et sensibilité, dans tous les styles. Il pourrait largement être professionnel, je côtoie des guitaristes professionnels qui sont loin d'avoir son talent, mais il a fait un autre choix de vie, et il se plaint de son travail pénible. Pour autant, impossible de le faire changer d'avis depuis 15 ans, sa peur d'une nouvelle vie est plus forte que tout. Ce n'est pas du tout le seul profil de ce type que je connais ou que j'ai croisé dans ma vie, hélas. J'ai, chaque fois, tenté de les pousser à franchir le pas, mais leur peur est viscérale. Ils préfèrent se contenter d'un travail pas folichon, de revenus modestes, parce-que cela représente pour eux la sécurité, à plus forte raison quand ils ont des enfants.
Je me dis que le capitalisme, qui est, avec le concept de propriété et la compétition (dixit Albert Jacquard), les pires choses qu'on ait inventé, a décidément bien gangrené les esprits, pour qu'autant de gens en soient réduits à faire un travail qu'ils espèrent arrêter au plus tôt.